Immersion chez un Musher en Laponie suédoise

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Immersion en Laponie dans une meute de 17 chiens de traîneau

Février 2025, à Glommersträsk, dans le nord de la Suède.
 Il faisait -8°C ce matin-là. Une journée douce, si l’on en croit les standards locaux.
 Mais ce n’était pas une journée comme les autres : c’était le début d’un rêve que je portais depuis 2015. Celui de vivre auprès d’une meute nordique, de devenir handler, d’apprendre de l’intérieur ce lien unique entre un musher et ses chiens.

Ce rêve-là, je ne l’ai jamais vraiment oublié. Même quand les études m’ont poussé vers le commerce, même quand j’ai choisi la photographie comme moyen d’expression. J’ai toujours su que je finirais par revenir à cette envie fondamentale, et que je devrais y aller pleinement. Alors j’ai attendu le bon moment. Et dix ans plus tard, accompagné d’Océane, je me suis retrouvé au cœur de l’hiver suédois, dans le chenil de Manuel, un musher français établi à Glommersträsk. Avec Enzo un handler déjà sur place et 17 chiens de traîneau. Deux huskys sibériens lignée Togo. Le reste, des Alaskans, sélectionnés par Manuel pour leur tempérament plus posé, plus à l’écoute, plus en phase avec sa vision du métier.

Vivre au rythme de la meute

Notre rôle de handler commençait chaque jour à 7h. À 8h30, il fallait que tout soit prêt pour nourrir la meute.
 La base : une soupe chaude à base de viande congelée, d’eau bouillante et de riz. J’avais moi-même enterré les sacs de 20 kg dans une couche de neige épaisse, soit 600 kg pour le mois. Pas de meilleure chaîne du froid que celle de la Laponie.
 Découper cette viande gelée, c’est rude. Le couteau seul ne suffit pas toujours. La hache devient ton alliée. Il faut se dépêcher, ne rien gaspiller, surveiller les portions. Car ici, chaque chien a son rythme, ses besoins. Et ce que tu leur donnes, ils doivent le boire. Une mauvaise hydratation, c’est une perte de performance, un risque pour leur santé.

Pendant qu’ils mangent, nous nettoyons les box. Et là, pas de place pour l’à-peu-près : la réglementation suédoise est d’une rigueur extrême. Une erreur d’hygiène, une suspicion, et c’est la saisie. Avec, parfois, la mort des chiens à la clé. Une réalité qui glace. Et pourtant, on en connaît qui y sont confrontés injustement. Car dans ce milieu, certains dénoncent sans scrupule, et la justice agit vite, parfois trop.

Mais l’entretien, c’est aussi un moment d’observation. Par les selles, les urines, tu détectes les signaux faibles. Un chien qui digère mal, qui boit moins… Tu ajustes. Tu prends note. Tu deviens, petit à petit, responsable.

Construire la confiance

Mais le cœur du travail, il est ailleurs. Il est dans le regard des chiens.
 Dans leur manière de t’accueillir, de t’évaluer.
 Tu ne prends pas un traîneau du jour au lendemain. Tu dois être accepté.
 On a mis 15 jours avant de sortir pour la première fois. Avant ça, c’était des cani-randos, du contact quotidien, de la patience. Parce que chaque chien est unique. Il te teste. Il vérifie si tu comprends son langage, ses limites. Et à un moment, sans prévenir, le lien se crée.

On aidait Manuel sur la mise en place des attelages : harnais, bottines, lignes de trait… Rien n’est laissé au hasard. Car dans le blizzard, à -20°C, avec la neige qui durcit sous les coussinets, une bottine mal mise peut devenir un vrai problème. Alors on anticipe. On ajuste. On vérifie aussi l’équipement après chaque sortie : traîneaux, lignes, matériel, tout doit être impeccable.

Les sorties vont de 20 à 50 kilomètres. Et les jours de repos, les chiens sont tout de même sortis, entraînés, stimulés. Car ils sont des athlètes, et leur équilibre dépend de cette régularité.

Enfin sur le traîneau

Le quinzième jour, enfin, on part. 20 kilomètres de silence. De neige fraîche.
 Une sensation de glisse, de lévitation presque irréelle.
 Tu sens le pouvoir de l’attelage, la confiance qu’ils t’accordent.
 C’est eux qui te tirent, mais c’est toi qu’ils regardent.
 Tu leur parles, ils répondent sans mot.
 Et dans cette symbiose naît une forme de fierté rare. Celle de se sentir à sa place.

Comprendre pour mieux transmettre

Ce que j’ai vécu à Glommersträsk, c’est plus qu’un rêve accompli.
 C’est une leçon de rigueur, de sensibilité, d’écoute.
 C’est aussi une matière brute que je peux aujourd’hui sublimer à travers mon métier de photographe.

Ce n’est pas seulement parce que je sais manier un appareil. C’est parce que je comprends ce que je photographie. Parce que je sais ce que ça implique, physiquement, émotionnellement, humainement.

Et si un jour, une marque outdoor, une organisation ou une structure souhaite parler du lien entre un musher et ses chiens, je serai prêt.
 Parce que je l’ai vécu. Et que je saurais le traduire en images.

Fin de Transmission